NELLO VOLTOLINA
(11 septembre 1908 – 11 mars 1944)
De Maria Grazia Simeone
Traduction de Giorgio Tessarin et Romain Siegenfuhr
La figure artistique de Nello Voltolina, s’inscrit en pleine période du deuxième futurisme. Pendant longtemps les historien.nne.s de l’histoire de l’art italienne ont nié l’importance de cette deuxième partie du mouvement, enfermant la valeur de l’expérience futuriste seulement aux auteurs et aux œuvres jusqu’à la Grande Guerre et réduisant les créations des années 20 et 30 à une pure expression académique privée de vitalité, contaminée par la propagande fasciste. Les artistes de cette période sont qualifiés par les critiques d’ «inutiles et répétiteurs», d’«imitateurs», poussés par un «épigonisme courtois» et par un «regard provincial». Ce jugement est dicté, aussi, pour une aversion vis-à-vis du fascisme et, plus globalement, pour la figure de Filippo Tommaso Marinetti.
Ce n’est qu’à partir du 1958, grâce à Enrico Crispolti, que le deuxième futurisme obtient une reconnaissance critique, signalant son rôle dans les avant-gardes artistiques européennes, qui va contribuer également à modifier les dates fondamentales du mouvement, en décrétant sa naissance en 1909, année de publication du Manifesto del Futurismo de Marinetti, et son terme en 1944, l’année de la mort de Marinetti. Evidemment, pendant cette longue période, il est possible de distinguer des phases différentes de vitalité et des noms d’artistes qui s’imposent dans la deuxième partie du futurisme (Fillia, Dottori, Prampolini). L’Aéropeinture est reconnue comme la nouveauté, la véritable innovation de cette phase. Le mythe de la machine, de la modernité et de la vitesse, typique du futurisme, évolue, dans les années qui suivent la Grande Guerre grâce aussi au progrès de l’aviation, en véritable culte du vol, des avions et du vertige.
Nous pouvons légitimement comparer Nello Voltolina aux artistes les plus influents du deuxième futurisme, soit par la proximité humaine qui existait entre eux, soit par sa participation à des expositions d’art futuriste avec eux et par l’impulsion que ces artistes ont réussi à donner au mouvement dans des réalités provinciales comme la Vénétie, la Polésine, le Frioul qui, comme cela souvent arrive aux zones périphériques, connaissent les avant-gardes artistiques avec un peu de retard par rapport aux grandes villes. Marinetti fit un tour dans toute l’Italie pour relancer le mouvement futuriste et organise un congrès à Milan en 1924, pour régler le conflit entre fascisme et futurisme et revendiquer au mouvement une identité politique pour l’expression d’un nouvel art pour de nouveaux hommes. À la fin des années 1920, les villes, en particulier celles qui ont une université comme Padoue, sont devenues des centres d’agrégation et de revitalisation du futurisme. C’est aussi grâce à la tournée de Marinetti que, lors des conférences de Padoue, Adria et Rovigo, furent salués les étudiants qui étaient intervenus: «Lo studente, il futurista e l’italiano…son tre entità che s’identificano in un’entità sola» (L’étudiant, le futuriste et l’italien…sont trois entités qui s’identifient en formant une seule entité).
Dans la préface du catalogue de l’exposition «Futuristi in Polesine» (Rovigo, 6 novembre – 8 novembre 1992), où des œuvres de Nello Voltolina, Angelo Prudenziato et Leonida Zen furent exposées, Carlo Munari affirme que « Dans une Polésine jamais mentionnée par l’historiographie (ex)officielle, certains artistes revendiquent le droit d’opérer à travers des langues supranationales. Leur attitude s’est formée et a pris vie dans un contexte culturel précis : des discussions passionnées sur les théories, des “soirées” de poésie, des représentations théâtrales et enfin des interventions délibérément provocatrices qui, précisément en Polésine, eurent une large ferveur».
Il est donc très probable que le jeune Nello Voltolina, passionné de dessin et de couleurs depuis son enfance, ait abordé le futurisme au contact de cette ferveur de l’environnement padouan.
C’est lui-même qui nous informe, par le biais d’une présentation autobiographique, du moment où il décide de rentrer dans le milieu artistique du futurisme:[1]
«Le vendredi 11 septembre 1908, dans un village perdu entre les dunes sinueuses et un fleuve, tacheté de champs de blé et d’étangs bourdonnant de moustiques, j’ai vu pour la première fois le soleil. Soleil jaune, dunes jaunes, blé jaune, visages paludéens jaunes : voici mon enfance jaune, très jaune, désespéramment jaune, avec ma mère décédée et mon père à la guerre.»
Voltolina est né à Donada (aujourd’hui Porto Viro), un lieu vraiment perdu entre sable et l’eau du delta du Pô. Nous n’avons pas de photos de son enfance, alors que son activité de photographe est vraiment abondante, il sut capturer les coins de campagne, des scènes de chasse et de pêche, des moments bonheur familial : Voltolina appartient à une famille de riches propriétaires terriens, son père et ses oncles administraient les champs et les vallées poissonneuses, aidés par de nombreux ouvriers agricoles, qu’ils vivent dans de grandes huttes perdues entre l’eau et les roseaux. Nello Voltolina, semble destiné, en tant qu’aîné et seul homme de la famille, à poursuivre cette tradition mais pour se détourner de cette vie qui semblait inévitable, plusieurs facteurs sont intervenus : une disposition artistique rebelle, des années d’étude, une vie loin de Donada, un emploi dans une entreprise du Nord de l’Italie et enfin, tragiquement, la Seconde Guerre mondiale.
Dans ce récit de la naissance et de l’enfance de Voltolina, nous ne pouvons manquer de remarquer la présence récurrente de la couleur et la référence aux dunes et au fleuve que l’on retrouve toujours dans ses œuvres, des paysages mélancoliques de ses débuts, vaguement impressionnistes, aux réalisations plus hardiment futuristes et à l’aéropeinture des années les plus fécondes de son activité artistique.
Le contraste entre l’aspiration à une vie d’artiste et le besoin d’étudier, imposé par sa position sociale, et la future gestion des biens familiaux se résume ainsi:
«Puis l’étude : j’ai gribouillé cent kilos de papier, en passé en revue deux cents livres inutiles, chauffé les bancs des Porto Tolle, Donada, Adria, Rovigo, Venise, Chioggia, Padoue et encore Venise pour avoir le plaisir dans quelques années de me faire appeler “Signor Dottore”».
Particulièrement adapté à représenter cet état d’esprit (autre que la capacité de nos aïeux à réutiliser n’importe quel morceau de papier) semble être un profil d’une femme africaine, dessiné au crayon bleu sur une feuille dactylographiée avec les valeurs de la piastre mexicaines et d’autres monnaies, ou autre la couverture d’un livre de chimie, ornée d’une figure de femme tenant un alambic.
Certes, Nello Voltolina apparaît indécis entre le monde de l’art et celui de l’étude, mais aussi entre vie citadine, comme en témoigne des photos de groupe avec d’élégants jeunes hommes et de belles femmes, et la vie à la campagne, où nous se trouvent des chiens, des fusils, des paysages empreints d’une merveilleuse mélancolie : deux aspects de sa sensibilité artistique, l’un plus mondain, qui souvent trouve une expression dans les caricatures d’amis et de professeurs, et l’autre dans lequel les dunes et les eaux du delta du Pô sont un élément caractéristique et essentiel.
Nello pré-futuriste est un peintre assidu et précis : d’une main sûre, il dessine le portrait son grand-père sur son lit de mort (1928) pour l’offrir à une tante. L’activité artistique semble encore limitée au cadre familial : «Dès l’enfance, j’ai eu une grande passion pour le dessin, suffisamment pour occuper le meilleur de mon temps, laissant l’étude au deuxième plan».
Selon Nello, il semble que les échecs temporaires pour l’étude favorisent la formation artistique, ou peut-être que ce soit celle-ci qui les détermina.
«En 1930 rejet aux examens et éclosion du génie futuriste. Janvier 1931: Dormàl me fait exposer pour la première fois en me présentant à Marinetti. Premier succès!»
Voltolina attribuera toujours à Dormàl le mérite de l’avoir fait sortir d’une sorte de léthargie, en lui montrant le chemin du futurisme.
En effet, 1931 est une année cruciale pour Nello : il expose à Padoue, en janvier, lors de la manifestation «7 futuristi padovani», qui marque les débuts non seulement pour lui mais aussi pour l’ensemble du mouvement padouan, duquel font partie Della Baratta, De Giorgio, Dormàl, Peri, Sgaravatti et Crali. Des huit œuvres qu’il présente (Brezza Primaverile, Sotta’acqua, 2 novembre, Seminatore, Trebbiatrice, Ritratto, Tam), c’est surtout cette dernière obtint le plus grand succès pour «les lignes droites, les forts contrastes, les sensations des lumières en mouvement. Petite pensée particulière [pour la] perfection technique. Ainsi commença le cycle évolutif de Voltolina» (Silvio Marchesani, 1933).
Nello Voltolina signe ses œuvres sous le nom d’artiste Novo. Une habitude futuriste d’utiliser des pseudonymes courts et incisifs : les deux syllabes sont formées par quelques lettres de son nom, et semblent vraiment exprimer l’innovation, le chamboulement que Nello veut apporter dans sa nouvelle vie et dans l’environnement artistique provincial.
En mai de la même année, il expose àl’exposition Pittura e aeropittura futurista – arazzi, architettura e giocattoli (Peinture et aéropeinture futuriste – tapisserie, architecture et jouets), organisée à Trieste par Bruno G. Sanzin. Dans cette exposition, à laquelle participent les futuristes padouans et juliens, Voltolina expose les peintures déjà présentées à Padoue, à l’exception de Brezza primaverile et Seminatore. À la fin du mois, l’exposition se déplace à Gorizia, au Circolo di Lettura, le nombre d’œuvres d’art et de peintres augmente (les artistes de l’école de Gorizia participent aussi à l’événement, comme Cossar et Zadiby), mais les peintures de Nello s’imposent : dans le journal L’eco dell’Isonzo du 4 juin 1931, Valentino Danieli écrit un éloge notamment sur Tram, mais aussi sur 2 novembre et Circo (o Salto Mortale). « Parmi les tableaux les plus admirés de l’exposition, Salto mortale nous paraît le meilleur : élasticité et légèreté dans la vibration musculaire du clown; forte atmosphère remplie de l’attention du public ; désinvolture acrobatique dans l’espace illuminé par le haut». 2 novembre est une «correspondance des sens amoureux» avec les âmes-œil en suspension au-dessus de figures baissées, auxquels elles sont liées par le ruban serpentin des souvenirs, dans des dégradés chromatiques bleu-azur.
Durant cette période, il parvient enfin à terminer ses études comme expert-comptable commercial et décide de rejoindre la Faculté d’Économie et de Commerce de Venise. Il reste toutefois en contact avec le milieu de Padoue et en particulier avec Dormàl : dans le numéro unique de la revue estudiantine padouane « Noi siamo le colonne » apparaissent les caricatures et vignettes de Voltolina. A la même période, s’ouvre à Padoue l’Exposition Internationale d’Art Sacré Moderne Chrétien avec une section futuriste où un tableau de Voltolina est exposé, La conversione dell’eretico aleardino, qui remporte un grand succès : «Dans une fusion parfaite de tons émergent les deux figures synthétiques : celle du saint spirituelle, douce, divinisée, et celle de l’hérétique forte, incisive, humaine. Un contraste très efficace. Voltolina a compris la nécessité de donner une âme au tableau et il l’a donné» (Marchesani, 1933).
C’est ainsi qu’arrive la première reconnaissance nationale de Nello Voltolina, il est invité à participer à la section futuriste de la Première Exposition Internationale d’Art Colonial à Rome de 1931, lors de laquelle la toile Atmosfera coloniale est exposée. La même année, il présente Volo et Aeropittura à l’Exposition futuriste d’aéropeinture et de scénographie, à la Galleria Pesaro de Milan.
La production graphique, les caricatures, les projets publicitaires, les dessins pour partitions musicales sont tout aussi intéressants : particulièrement belle Nostalgia di Greta, une étude pour une partition musicale de E. L. Poletto, dans laquelle le portrait de Greta Garbo est mis en valeur par la couleur rouge des lèvres. La polyvalence versatile du futurisme ressort, dans le travail de Nello comme celui d’autres représentants padouans, dans la création de coussins aux motifs stylisés d’avions et de poulpes, et dans des essais photographiques.
«L’élan a été parfait, la course a profité d’une accélération vertigineuse. En décembre j’ai dû m’arrêter subitement, une grave maladie a menacé mon existence».
Le typhus le contraint à une convalescence de six mois, pendant laquelle il continua son activité picturale ; il se tourne avec encore plus de conviction vers l’aéropeinture.
«J’ai résisté au choc, et avec l’arrivé du printemps je me suis remis sur pieds, j’ai repris le chemin, en tâtonnant, puis… en marchant et maintenant je marche vite, vite, regardant haut et en avant, j’accélère toujours plus, puis courir, courir loin à la recherche de nouveaux terrain à conquérir».
De la guérison, survenue au printemps 1932, en passant par l’obtention de la maîtrise en Sciences économiques (le 18 novembre 1936), jusqu’à l’embauche dans l’usine aéronautique Savoia Marchetti (le 1er novembre 1937), l’activité artistique de Nello Voltolina est intense et il participe à de nombreuses expositions, en alternant étude et art. A la Première Exposition d’Art Futuriste des Trois Vénétie, à Padoue, en 1932, lors de laquelle il expose les premières créations de sa « nouvelle manière » dite aéropicturale (Palude, Poeta che declama, Tramonto africano). Le vernissage en présence de Marinetti et la participation d’un grand groupe d’artistes venant de Padoue, Vérone et Trieste, donne une importance particulière à de nombreuses «énergies éparpillées et dispersées». Voltolina fit partie de la direction du jury, avec Dormàl et De Giorgio.
Marinetti sélectionne Voltolina et trois de ses œuvres (Acquazzone, Spiaggia, Pesca) pour participer à la Troisième Exposition de l’Art des Trois Vénétie, organisée à Padoue par le Syndicat fasciste des Beaux-Arts en octobre 1932. S’en suivent les expositions d’aéropeinture à Plaisance (février 1933), Bologne, Mantoue (mai 1933) et à la Galleria Pesaro de Milan le mois suivant. La Première Exposition nationale d’Art futuriste qui s’est tenue à Rome apporte à Nello la consécration officielle. Les dix œuvres qu’il y présente (Tram, Cosmo, Atmosfera italiana, Seduzione aerea, L’arcolaio, Amanti in palude, Spiaggia, Aquazzone, Atmosfera coloniale, Pesca) sont très appréciées et une salle lui sera conscarée lors de la deuxième édition de cette exposition. Les tableaux Seduzione aerea et Atmosfera coloniale furent exposés à Berlin et Hambourg, lors de l’itinérance de l’exposition d’aéropeinture futuriste (février-mars 1934).
Atmosfera coloniale est le tableau le plus connu de Voltolina. Il représente un chameau marchant sur des dunes de sable ; les couleurs chaudes, les figues de Barbarie, l’évocation d’un paysage tropicale où se mêlent fantaisie et folklore, couleur locale et exotisme. Dans Seduzione aerea, la combinaison des lignes géométriques, d’une figure féminine vêtue d’un drapé classique noir et d’une masse informe presqu’organique formée de circonvallations cérébrales indiquent clairement la matrice surréaliste de l’artiste. Aquazzone, défini par Quirino De Giorgio comme « un sublime élan de l’âme de l’artiste vers de nouveaux horizons à découvrir […] Il montre le fracas effréné d’une terrible averse contre un jeune arbre qui se ploie vaincu ». Le tableau fut offert par Voltolina à Marinetti. Spiaggia est plus apaisé, presque burlesque : une aile d’avion qui rase le sol et survole une double rangée des cabines de plage, le sable avec les parasols, une voile qui fend les vagues. Pour Sanzin, «dans Spiaggia, il arrive à animer le paysage marin d’un naturel joyeux, en en alignant des cabanes et distribuant des parasols colorés, en mettant au premier plan une grande voile légère. Encore la mer et le sable. Les gens ne sont pas représentés, mais on peut imaginer une foule joyeuse et bruyante parmi ces éléments qui synthétisent le monde des baigneurs».
L’amour de Nello pour la plage est attesté par plusieurs photos de groupe de jeunes à la plage ou en bateaux. Et que dire de la lettre qu’il reçoit, adressée à la cabine n° 20, Sottomarina de Chioggia ? La plage devient même une adresse possible.
À la Première Exposition d’Avant-garde de la Ville de Lonigo un groupe de peintres futuristes vénitiens, qui considèrent Voltolina comme un maître, lui rendent hommage en présentant des tableaux avec le même titre qu’un tableau de Nello, Sintesi veneziana : un élément fondamental de l’image de Venise, le dôme de la de la basilique Santa Maria della Salute, devient l’arrière-plan d’une transformation vertigineuse des fers de la gondole, dans lequel les avions sont insérés, le symbole de l’aéropeinture.
L’aéropeintre Nello Voltolina veut laisser sa marque d’impétueuse nouveauté dans le domaine de l’héraldique, réglé par des normes et des images répétées et traditionnelles : il est mandaté par le podestat (podestà) de son village de concevoir les armoiries pour la commune de Porto Viro, une nouvelle entité territoriale créée en 1929 par l’union de Donada et Contarina. Sur un énième feuillet il décrit sa création, qui ne contiendra pas de casque, de plumes, d’animaux rampants mais un « blason divisé verticalement en deux champs par un épi fertilisant […] le champ à droite est noir, celui à gauche est vert et traversé par une rivière bleue ramifiée et survolé par un avion. L’épi représente fertilité de la terre et des habitants, de l’épi sort un avion, dernière expression du génie humain ». Évidemment, ce projet d’armoiries n’est pas approuvé, malgré les plaidoiries du podestat qui, dans la correspondance dense qu’il entretient avec le Conseil héraldique, soutient qu’une municipalité jeune et fasciste comme Porto Viro ne peut pas avoir le lion de San Marco dans ses armoiries, mais une référence au passé et aux hommes nouveaux. Voltolina, un artiste futuriste duquel le podestat avait entendu des louanges, mais créateur de choses peu compréhensibles pour un profane en art, a peut-être exagéré en insérant un avion dans l’emblème (une charrue eut été plus judicieuse), mais il a exprimé ce sens de la nouveauté dont la jeune commune de Porto Viro était une réalisation concrète.[2]
«Voltolina est jeune et peut produire de nombreuses œuvres : s’il continue, comme lui-même l’a affirmé, à un rythme rapide, comme il a pu faire jusqu’à présent, nous trouverons en lui un artiste accompli». Avec ces mots se termine une critique très positive des œuvres de Nello qui, en 1934, aparticipé aux Littoriali de la Culture et de l’Art à Florence, un événement pendant lequel, en observant des œuvres qui ne semblent respecter qu’une convention académique, Voltolina trouve l’inspiration pour un article polémique, «Un regard sur les peinture des Littoriali », apparu sur la revue « Futurismo-Sant’Elia».
Voltolina est reconnu officiellement comme un aéropeintre: la présentation de son tableau Glorificazione della Terra dans une salle dédiée à l’aéropeinturependant la XIXe Biennale de Venise en témoigne. Dans la peinture, les silhouettes stylisées d’un avion dessinent un demi-cercle puis une ellipse sur un fond de ciel bleu. Selon Marchesani, qui a parlé du tableau dès 1933, «L’avion prend pour lui une valeur mystique, c’est pourquoi il le rend divin et ses créations atteignent un haute niveau de lyrisme». Toujours en 1934, il a participé à la Prima Mostra di Plastica Murale à Gênes en présentant un projet d’une décoration murale pour une Casa del Fascio (Voltolina est l’un des signataires du manifeste dans lequel Marinetti affirme que l’exposition présentera toutes les brillantes possibilités que les architecte, peintres et sculpteurs peuvent apporter à l’architecture fasciste). Nello, même s’il considère son expérience dans l’architecture limitée «aux marais et travaux de remise en état», il espère d’en être à la hauteur (lettre à Fillia, 11 septembre 1934).
Nello est bien conscient de la nécessité de terminer ses études universitaires: il partage sa peur de devoir abandonner l’art pour les études avec Mino Somenzi, celui-ci lui répond en le conseillant de continuer les deux avec la même intensité, il diminue ses participations aux expositions, tout en exposant en 1935, à la deuxième Quadriennale d’Arte Nazionale à Rome (Palude da 100 metri), et à l’Exposition des quarante ans de la Biennale (Atmosfera fascista).
L’activité graphique de Voltolina mérite un paragraphe à part : en 1935 sort le numéro unique de «L’Ascensore, Arciquaderno goliardico cafoscarino», dont notre artiste est en charge du graphisme, de la mise en page et de la rédaction. Sur la couverture de la revue, le petit avion classique, désormais son signe distinctif, soulève un ascenseur volant, dans lequel on peut voir les silhouettes d’un étudiant, avec le couvre-chef traditionnel de l’université, et d’une fille. Sur le fond noir, les lettres WLA en vert brillant et en gros caractères, répétées en noir sur le frontispice, ici nous pouvons voir que l’amour des futuristes pour les jeux des mots et le non-sens se manifestent: le A majuscule est la première lettre des mots « aérodynamique, antirabique, agghiacciato (gelé), académique, antiseptique, accéléré, anatomique, archiplein, apéritif, arythmique, artistique, amoureux, ami, ailé ». A l’intérieur de la revue nous pouvons voir des caricatures, des dessins artistiques et macaroniques en italien et latin, esprit estudiantin à pleines mains, démythification de Venise et de sa vieille université. Le prix ? A VOUS DE CHOISIR (2 lires minimum).
Toujours dans ce contexte, profondément lié à la vie universitaire, il y a la création des «papyrus de maîtrise», synthèse railleuse qui, selon la tradition de la vie estudiantine, vise les vices et les vertus de l’étudiant, qui trouve dans la caricature le centre de la réalisation : Voltolina et Dormàl offrent ce service, moyennant le paiement d’une modeste rétribution, à tous ceux qui ont l’intention de célébrer le diplôme d’un ami de façon plaisante. Voltolina réalise deux papyrus pour le diplôme de Dormàl, en 1933 (Aujourd’hui Carlo Maria Dormàl est maître en loi et Carlo Maria Dormàl maître en loi) : signés par Marinetti, Benedetta, Prampolini, De Giorgio, Bragaglia, Voltolina, Mazzorin, Somenzi, Ambrosi, Depero, Dottori, Brunas, Fillia, Sanzin, Balla, qui contiennent la caricature de leur ami fraternel, vrai moteur du groupe futuriste padouan.
Avec Sbadigli le peintre participe, en 1936, à la XXe Biennale de Venise. La même année expose des œuvres dans la section futuriste de la Deuxième Exposition d’Art Syndicale Polesana. Des œuvres déjà connues, comme Spiaggia, Acquazzone, Atmosfera coloniale et d’autres nouvelles (Maria la figlia del pescatore, Alla conquista dell’infinito). La bouche de Maria est transformée en flotteur d’hameçon, en arrière un filet et un poisson, avec des renvois évidents au monde le la vallée de pêche, si importants dans la formation artistique de Voltolina, avec ses suggestions et ses couleurs.
Le 18 novembre 1936, il obtient la maîtrise en Sciences Economiques; les amis Marinetti, Dottori, Dormàl, Somenzi, Dalla Baratta, De Giorgio, Prampolini, Guidi, Sanzin, et Mazzorin signèrent le diplôme, et l’un d’eux, De Giorgio, réalisa le «papyrus», orné d’avions, de poissons et de feuilles de laurier.
A Rome, dans les locaux du Dopolavoro (l’Œuvre nationale du temps libre) aéronautique de Place Esedra, il expose quatre peintures à l’Exposition d’AéropeintureFuturiste : Paese schiacciato, Sorvolando Sabaudia, Vele innamorate dell’idrovolante, Etna aerea.
En juin 1937, Nello reçoit, de la Fédération nationale fasciste des commerçants des produits de la pêche, la mission de concevoir et réaliser un pavillon pour la vente des produits de la pêche pour la Foire d’Ancône, programmée du 15 juillet au 15 août. Le pavillon doit présenter des caractéristiques bien précises, il doit refléter la rationalité et la modernité dans sa structure et sa décoration. Si cette mission est due à l’influence de Marinetti, Nello parait la personne la plus adaptée pour mener à bien la tâche de concevoir un espace dédié à la vente du poisson, par sa tradition familiale liée aux activités de la pêche et par l’éclectisme et l’ouverture à chaque aspect de la vie qu’un futuriste moderne doit posséder. Son partage entre deux mondes semble trouver cette fois une sorte de pacification, de conjonction idéale.
Entre-temps, il continue d’aider son père dans la gestion des vallées de pêche. Début novembre 1937, il est embauché par la compagnie d’aviation Savoia Marchetti et il reste jusqu’en janvier 1940 dans les bureaux de Rome, «pour assurer les liaisons entre les différents ministères et délégations étrangères et pour assister les avions sur les champs de la zone», comme on peut lire dans un curriculum vitae manuscrit qui ne parle plus d’expériences artistiques, mais de travail et de missions.
Il parvient toutefois à exposer à la XXIe (1938) et à la XXIIe (1940) Biennale de Venise, et à la Troisième Quadriennale romaine de 1939.
Il demande et obtient sa mutation dans les bureaux de Sesto Calende. Son curriculum recense les fonctions réalisées dans le cadre de son nouveau travail, comme adjoint au chef de service adjoint à la comptabilité industrielle, puis au secrétariat général et enfin, dès février 1942, à la direction du personnel. Il est certain que Nello ait expliqué les raisons du changement à sa famille et amis. Nous pouvons seulement les imaginer : sûrement le besoin de se rapprocher de sa famille, alors que la guerre devenait de plus en plus difficile et concrète, ou peut-être pour de meilleures perspectives de carrière, ou peut-être l’envie de s’éloigner de Rome et des ministères.
Alors qu’il gère les embauches et les licenciements, il organise à Sesto Calende la Troisième Exposition d’Art du Dopolavoro (l’Œuvre nationale du temps libre) de l’entreprise Savoia Marchetti, dont il s’occupe du journal, dans lequel il publie des caricatures des employés et des dirigeants. Son fameux petit avion apparaît sur les croquis, peut-être pour une affiche ou une couverture, pour la 2e journée de la Technique, le 4 mai 1941. Mais sa mutation signe la fin de la production futuriste et le retour aux paysages impressionnistes de sa jeunesse. Il semble presque que Nello ferme définitivement une porte, même si la fascination que l’aviation et les avions a toujours exercée sur lui ne s’éteint pas complètement. Durant la réalisation du film Gente dell’aria, dont le tournage a lieu, en septembre 1942, dans les locaux de Sesto Calende, il suit l’avancement du film, produit par Cinecittà, et réalise des prises de vue aériennes.
Dans les circonstances de la disparition tragique de Nello Voltolina, il semble que les deux composantes essentielles de sa vie se réunissent fatalement : l’amour de l’art et des avions. Le 11 mars 1944, quand eut lieu le bombardement aérien de Padoue, Nello est dans la rue et, au lieu de chercher un refuge, il entre dans l’église des Eremitani. Dans les récits de ceux qui n’ont pas eu de ses nouvelles, on imagine que Nello est entré dans l’église à cause de l’ouverture soudaine du portail à cause du courant d’air, ou peut-être a-t-il cru y être à l’abri des bombes et aussi à cause de l’appel exercé par les fresques d’Andrea Mantegna, qui ornent magnifiquement la chapelle Ovetari. L’église est touchée, le toit, la façade et l’abside s’effondrent. La famille de Nello, réfugiée dans les vallées familiales et ignorants son sort, n’ayant plus de nouvelles, imaginent qu’il s’est enfuit, ou parti rejoindre des partisans, et sa présence est signalée çà et là, comme cela arrive souvent avec les personnes disparues.
Peu de temps après le bombardement, l’enlèvement des décombres de l’église met au jour des restes humains, sous une statue de la Vierge. Une bague permet d’identifier le corps, celui de Nello Voltolina.
Qu’aurait pu faire Nello Voltolina s’il avait survécu à la guerre ? Il est compliqué de répondre : certainement, comme tous les représentants d’un art que l’on jugeait, dans l’après-guerre, irrémédiablement fasciste et inférieur, il aurait été oublié ou rejeté sans appel. Dans tous les cas, le désintérêt pour le futurisme les dernières années de sa vie suggère à une certaine fatigue, ou peut-être la difficulté d’accepter un art toujours plus voué à la propagande du régime, ainsi que les revers de la guerre font connaître le vrai visage du fascisme et enlèvent toute illusion à qui l’avait soutenu.
Carlo Munari, en concluant la présentation
des œuvres de Voltolina dans le catalogue de l’exposition « Futuristi
in Polesine » en 1992, affirme que «dans la production picturale de
Voltolina, il n’y a pas d’espace pour la rhétorique et la propagande du régime
et même l’aéropeinturen’est pas instrumentalisée pour célébrer les
gloires italiques, quant au système de représentation du paysage et des figures
familières du début de sa carrière, et de l’infini espace ensuite».
[1] L’autobiographie de Nello Voltolina est conservée dans l’Archive du Musée d’Art Moderne et Contemporaine de Trente et Rovereto (MART), fond Fortunato Depero.
[2] Le croquis du blason réalisé par Nello Voltolina et l’échange entre le podestat Arcangeli et le Conseil héraldique, sont conservés dans l’archive communal de Porto Viro.